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LETTRE APOSTOLIQUE
Primum quidem gratias ago Deo

DU PAPE FRANÇOIS
POUR LE TROIS CENT CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE
DE L'ÉGLISE DE QUÉBEC

 

« Tout d’abord, je rends grâce à Dieu par Jésus Christ pour vous tous, puisque la nouvelle de votre foi se répand dans le monde entier. Car Dieu m'en est témoin [...] : je fais sans cesse mémoire de vous » (Rm 1, 8-9).

Il me plaît d'ouvrir cette lettre en reprenant les mots que l'Apôtre Paul adressait aux chrétiens de Rome, leur rappelant que leur foi s'était répandue dans le monde entier. Cela est vrai pour vous, puisque votre foi s'est, de fait, répandue à travers tout le continent et, par l'action de vos missionnaires, au-delà des mers.

Ainsi, au moment où votre diocèse, le premier d’Amérique du Nord, inaugure les célébrations du 350ème anniversaire de sa fondation, je rends grâce à Dieu pour vous tous, pour votre foi, et je fais mémoire de vous.

J'ai eu, le 3 avril 2014 - et ce fut pour moi un moment de grâce - l'occasion de canoniser François de Laval, votre saint évêque, ainsi que celle que l'on désigne comme la Thérèse du Nouveau Monde, Marie de l'Incarnation. J’ai reçu alors une délégation de pèlerins, conduite par votre Archevêque, mon frère bien aimé, le Cardinal Gérald Cyprien Lacroix. J’ai entendu le récit de votre foi. Votre Église a été fécondée par le sang des martyrs qui ont semé l'Évangile, elle a été édifiée avec sagesse et audace par un saint pasteur au cœur missionnaire, François de Laval, elle a été formée par la charité et la vie spirituelle des sœurs ursulines et augustines qui marquèrent si profondément ce pays. J’ai pris connaissance de la sainteté qui est à la source de votre pays : les saints canonisés et béatifiés, comme Marie-Catherine de Saint-Augustin, Dina Bélanger, Elisabeth Turgeon, ou encore les martyrs jésuites canadiens ; mais également les saints « “de la porte d'à côté”, ceux et celles qui vivent proches de nous et qui sont un reflet de la présence de Dieu » (Gaudete et exultate, n. 6).

Il y a un peu plus d'un an, j'ai eu l'occasion de rendre visite à l'Église de Dieu qui est à Québec. J'y suis allé comme un frère, à la rencontre de frères et sœurs pour y prolonger un dialogue et des échanges commencés depuis plusieurs siècles et qui sont appelés à se poursuivre. Car aujourd'hui encore, nous avons à apprendre la langue de l'autre. C'est pour prolonger cette rencontre que je vous adresse cette lettre fraternelle.

Les premiers missionnaires ont trouvé ici des personnes profondément religieuses, vivant en présence de Dieu, le Créateur du ciel et de la terre ; des gens qui avaient conscience d’être des héritiers, que leur terre était un don du Créateur « à partager avec les autres et à aimer en harmonie avec tout ce qui existe, dans une relation mutuelle de vie entre tous les êtres vivants. Ils avaient ainsi appris à nourrir un sens de la famille et de la communauté, et avaient développé des liens solides entre les générations, en honorant les personnes âgées et en prenant soin des plus petits. Que de bonnes coutumes et d'enseignements, centrés sur l'attention aux autres et sur l'amour de la vérité, sur le courage et le respect, l'humilité et l'honnêteté, sur la sagesse de la vie ! » (Discours, Maskwacis, 25 juillet 2022). Au fond de leur conscience, ils avaient découvert la présence d'une loi qu'ils ne s'étaient pas donnée eux-mêmes, mais à laquelle ils étaient tenus d'obéir. Cette voix ne cessait de les presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal. (Cf. Gaudium et spes, n. 16). Ils étaient toujours en marche et, de ce fait, chercheurs de la vérité, fascinés par le mystère, cherchant à connaître Celui qui est au principe de leur existence et vers qui ils se dirigent à travers leurs pérégrinations saisonnières ; Celui qui est au-delà de l'horizon vers lequel ils cheminent.

L'Évangile leur a été annoncé par la vie des missionnaires qui ont partagé leur vie tout autant que par leurs paroles. Au-delà des langages inconnus, il y avait une langue commune : la charité, faite d'accueil, de soin des autres et de la contemplation du Dieu dont nous cherchons tous le visage. Cet Évangile, qui a pour nom Jésus, mort et ressuscité, a trouvé auprès d'eux un véritable accueil et il a souvent été reçu avec joie, illuminant d'un nouveau jour leur vie. Au milieu d'eux et par eux, il porta beaucoup de fruits. Plusieurs d'entre eux l'ont diffusé, l'annonçant dans leur propre langue, chantant à Dieu sur cette terre un cantique nouveau.

Une maison bâtie sur le roc

Portant notre regard sur le présent, nous voyons les hommes et les femmes qui habitent ce pays exposés à des bouleversements de grande ampleur : des changements culturels provoquant des ruptures de tradition, une désorientation et une perte de références pour penser la vie et l’avenir ; des mouvements migratoires qui renouvellent la population et restructurent la société devenant ainsi multiethnique et de plus en plus métissée ; des avancées technologiques qui conduisent à repenser la communication et le rapport aux autres et qui induisent des mutations anthropologiques sans précédent.

La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison... C'est peut-être le sentiment que vous avez lorsque vous considérez la situation actuelle de l'Église de Québec. Il n'est pas exagéré de dire, en effet, qu'elle essuie une tempête. Elle est ébranlée, et ce qui a été édifié semble même en péril.

Devant ces mutations et ces bouleversements, et contemplant la ville construite sur le Cap Diamant, formant un promontoire exceptionnel, mon regard émerveillé a fait remonter à ma mémoire la parole de Jésus à propos de la maison construite sur le roc :

« Celui qui entend les paroles et les met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a construit sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison ;la maison ne s'est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc » (Mt 7, 24-25).

Ce roc dont nous parlons, c’est le Christ, bien entendu, qui s'adresse aux hommes comme à des amis pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie (Cf. Dei Verbum, n. 2). L'Église de Québec doit vivre de la Parole, l'écouter, la mettre en pratique. Ainsi, quoi qu'il en soit des tempêtes qu'elle aura à affronter, elle ne s'écroulera pas car son fondement ne sera pas ébranlé. Elle traverse une phase de purification, éprouvante certes, mais salutaire. Notre assurance est en Dieu et non dans les institutions que nous avons édifiées au cours des siècles.

Forts de ces paroles de l’Évangile, permettez-moi de réfléchir un peu sur le sens du jubilé que vous célébrez.

Un temps pour rendre grâce

Il est bon de reconnaître ensemble les dons nombreux et merveilleux que Dieu vous a fait au cours des siècles. Ainsi, nous fixons notre regard, non d'abord sur nos propres œuvres, nos succès, nos prouesses ou nos réussites, mais sur ce que nous avons reçu de Dieu et des autres.

Rendons grâce à Dieu pour le don de la foi qui vous a donné d'affronter – et d’affronter encore – les difficultés rencontrées au cours du temps, et qui vous a permis de vous relever sans jamais vous laisser vaincre par l'épreuve. La foi vous a soutenus et vous a rendus capables d'espérer contre toute espérance. Comme vos ancêtres, grâce à la foi, grâce à la Parole de Dieu qui demeure en vous, vous avez édifié une société ouverte, marquée par la coopération, attentive à la création.

Il convient de rendre grâce aussi de tout ce qui a été reçu des différentes composantes de la société québécoise : de la part de l'« Indien généreux », suivant la belle expression de l’un de vos historiens [1] ; comme de la part des immigrants qui, par vagues successives, sont arrivés sur cette terre, espérant y trouver, plus qu'une terre d'accueil, une maison ou un travail, mais des amis, des frères et des sœurs. Rendre grâce en quelque sorte pour le don de l'autre, l'autre qui, dans sa différence, ne peut que nous enrichir et doit nous rendre meilleurs.

Oui, l'Église de Québec a beaucoup reçu au cours de son histoire. Le Seigneur a été très généreux en appelant de nombreuses personnes aux vocations différentes, à donner leur vie et à s'engager dans tous les secteurs de la mission de l'Église : des laïcs engagés, des agents pastoraux, des évangélisateurs et catéchètes, des personnes consacrées, des diacres, des prêtres et des évêques qui non seulement ont bâti la communauté chrétienne, mais aussi contribué à bâtir la société.

Un temps pour examiner notre conscience et demander pardon.

Un jubilé, comme nous l'enseigne déjà l’Ancien Testament, est un temps de remise de dette et de réconciliation. La purification de la mémoire ne peut venir qu'au terme d'un processus initié par l'Église repentante, toujours appelée à se purifier, Église qui ne fait pas qu'offrir la miséricorde de Dieu et dispenser la grâce, mais qui demande pour elle-même à son Seigneur et aux autres la miséricorde.

« Si la foi chrétienne a joué un rôle essentiel dans la formation des idéaux les plus élevés du Canada, caractérisés par le désir de construire un pays meilleur pour tous ses habitants, il est nécessaire, d’admettre nos fautes, […] de promouvoir les droits légitimes des peuples autochtones et favoriser des processus de guérison et de réconciliation » (Discours, Citadelle de Québec, 27 juillet 2022).

Ces processus de pardon demandent du temps et de la patience, car ils doivent gagner les cœurs. Suite au voyage que j’ai accompli chez vous l’an dernier, et qui avait un fort caractère pénitentiel, il convient de continuer à « poursuivre la recherche de la vérité, afin de progresser dans la promotion des parcours de guérison et de réconciliation, pour aller de l'avant en semant l'espérance pour les futures générations d'autochtones et de non-autochtones, qui souhaitent vivre ensemble fraternellement, en harmonie » (Salutation, Québec, 29 juillet 2022). Je souhaite à tous les Québécois de pouvoir toujours à l'avenir « marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble, pour que les souffrances du passé cèdent la place à un avenir de justice, de guérison et de réconciliation » (Discours, Maskwacis, 25 juillet 2022).

Un temps pour scruter l'avenir et s'y engager avec audace

Devant les défis qui se présentent devant vous, il ne faut pas pleurer sur le présent ni entretenir la nostalgie du passé, mais scruter l'avenir et s'y engager avec audace. Pour cela « j'invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd'hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse » (Evangelii gaudium, n. 3). Le Pape Benoît XVI rappelait qu’« à l'origine du fait d'être chrétien, il n'y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive» (Deus caritas est, n. 1). Chers amis, disciples-missionnaires de l’Église de Québec, soyez des hommes et des femmes de la Rencontre avec le Christ.

Vous me permettrez, pour cela deux invitations. Il vous appartiendra de les élaborer davantage et d'en faire votre projet. Elles sont tout simplement tirées du cœur de l’Évangile et de son unique commandement de l’amour, auquel tout le reste est subordonné : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même (Cf. Mt 22, 37.39)

Aimer Dieu de tout son cœur commence par la croissance de notre vie intérieure. Nous avons perdu l'habitude de la prière silencieuse, une pratique qui a construit la vie des générations de chrétiens qui nous ont précédés.Nous connaissons tous des aînés rayonnants, sereins, parfois malgré la maladie, la souffrance et l'infirmité qui vient avec l'âge. Ils sont riches de leur vie intérieure cultivée au long des années.

Aménager des espaces et des temps de solitude, de silence et de contemplation est d’autant plus nécessaire que nos vies sont encombrées, non seulement par nombre de soucis et obligations, mais également par tant de bruits, de paroles et d'images futiles qui nous distraient, nous dispersent et nous empêchent de cultiver notre relation avec Dieu. Les lieux de réflexion, les moments d'écoute de la Parole, les temps d'adoration, de prière silencieuse – plus facile à ceux qui vivent en contact quotidien avec la nature – permettent de prendre une distance des engagements quotidiens afin de considérer les choses à la lumière de la foi, de discerner ce qui est important, ce qui fait vivre et qui rend plus humain.

Le silence, s’il est fait d'écoute, d'écoute de l'Autre, de sa Parole, introduit à une Présence et nous fait goûter cette Présence. La personne redécouvre alors sa nature profonde, le mystère qui l’habite celle d'être en dialogue avec le Tout-Autre, un être fait pour la rencontre et la communion. Elle ouvre à un dialogue fait de louange, d'intersession.

Bien sûr, il ne s'agit pas pour autant de tourner le dos à nos obligations, ni de renoncer à mener les combats essentiels pour plus de justice et de solidarité. L'implication dans la communauté demeure capitale ; mais la prise de distance par rapport aux engagements frénétiques ne l'est pas moins si l'on veut considérer avec sérénité et mettre en perspective les questions graves que nous devons affronter.

Aimer le prochain comme soi-même, c'est être miséricordieux, pardonner, ne pas rendre le mal pour le mal, considérer le prochain comme un frère ou une sœur dont il me revient de prendre soin. En particulier, vous êtes appelés à ne pas oublier le cri des pauvres, des personnes isolées, délaissées, marginalisées. Ils ont beaucoup à nous enseigner et nous sommes toujours invités à reconnaître la force salvifique de leur existence, à les mettre au centre du cheminement de l’Église. Il nous est donné de rencontrer le Christ en eux et d’accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux (Cf. Evangelii gaudium, n. 198).

Aimer le prochain comme soi-même c'est aussi accueillir l'étranger. Souvenez-vous qu'un jour beaucoup de vos ancêtres ont été des étrangers et ont été accueillis. Une société ne peut se construire que dans le respect, la solidarité et la fraternité. Elle est menacée lorsque chacun se replie sur soi dans le confort et l'indifférence, lorsque dans nos manières de nous adresser aux autres, on cède à la colère, à l'invective et à l'insulte. Rien de solide ne peut se construire autrement que dans la rencontre et le dialogue respectueux.

Aimer le prochain comme soi-même, c'est aussi prendre soin de la Maison commune, la terre (cf. Laudate Deum). Il y a un lien entre le soin de la création et le souci des plus pauvres et on ne peut pas construire un avenir ensemble si l'on consomme de manière irresponsable les ressources de la terre.

* * *

Chers frères et sœurs de l'Église de Québec, vous êtes nés d'un grand élan missionnaire qui a façonné ce que vous êtes devenus. Je vous invite à poursuivre votre route ensemble, habités par le zèle apostolique et missionnaire nécessaires pour que l'annonce de l'Évangile et le rayonnement de la vie chrétienne fasse croître chez vous le Royaume de Dieu dans les cœurs. Poursuivez courageusement la route, fondés sur le roc qu'est le Christ ; ayez confiance en la bonté et la miséricorde du Père et laissez-vous surprendre et animer par l'Esprit Saint. Par-dessus tout, apprenez à marcher ensemble. Je vous adresse, de grand cœur, ma bénédiction apostolique.

Donné à Saint Jean de Latran, le 8 décembre 2023, fête de l'Immaculée conception de la Vierge Marie, Fête patronale du Diocèse de Québec, et anniversaire de l’ordination épiscopale de son premier évêque, Saint François de Laval.

 

FRANÇOIS

 


[1] Louise Côté, Louis Tardivel et Denis Vaugeois, L'Indien généreux. Ce que le monde doit aux Amériques, Québec, Septentrion, 1992.



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